Gustave Flaubert 1867
« (…) Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de bohémiens qui s’étaient établis à Rouen. – Voilà la troisième fois que j’en vois – Et toujours avec un nouveau plaisir, l’admirable, c’est qu’ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu’inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule en leur donnant quelques sols – et j’ai entendu de jolis mots à la Prud’homme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d’ordre. C’est la haine que l’on porte au Bédouin, à l’Hérétique, au Philosophe, au solitaire, au Poète – et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m’exaspère – il est vrai que beaucoup de choses m’exaspèrent. Du jour où je ne serais plus indigné, je tomberais à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton (…) »
Gustave Flaubert
Lettre à Georges Sans du 12 juin 1867
Correspondance, éd. de la Pléiade, tome 5 pp 653-65