France - Les fruits de la frontière - GITSI 5/6/18

Emmanuelle Hellio et Juana Moreno Nieto

Aix Marseille université, CNRS, LEST, Mucem, Labexmed
 
 

Il est courant d’opposer la liberté de circulation des personnes avec celle des marchandises ou des capitaux, réputée sans entrave dans un monde libéral, pour constater que la première n’est que formelle. Mais les choses ne sont pas si simples et les marchandises ne circulent pas si librement quand les intérêts économiques de la rive nord de la Méditerranée sont en jeu. Où l’on parle de subordination des terres et des travailleuses marocaines au calendrier productif européen.

 

Dans le domaine des migrations, lorsqu’on parle de liberté de circulation, c’est généralement pour déplorer une différence substantielle entre la liberté de mouvement des capitaux ou des marchandises et celle accordée aux individus. Or, tout n’est pas si simple. Dans un cas comme dans l’autre, la frontière n’est jamais ni complètement fermée, ni complètement ouverte, elle filtre.

Si l’on prend l’exemple du Maroc et de l’Union européenne avec lequel cette dernière développe des relations qu’elle qualifie de « privilégiées », garanties entre autres par un « partenariat pour la mobilité », il faut se rendre à l’évidence : les produits agricoles chérifiens ne circulent pas plus librement que les personnes des deux côtés du détroit. Le développement d’une production sous serre de contre-saison – soutenu par les politiques d’ajustement structurel, puis par le Plan Maroc vert – amène un pays pauvre en eau à exporter fraises et tomates. Celles-ci ne peuvent être commercialisées que dans les interstices du calendrier défini par l’accord d’association Maroc-UE. De ce commerce, le Maroc ne retient qu’une infime partie de la valeur, le reste étant accaparé par les investisseurs étrangers.

De leur côté, les saisonnières et saisonniers agricoles marocains sont généralement introduits en France et en Espagne à partir du mois de mars, soit au moment précis où l’exportation des fruits et légumes produits au Maroc devient non compétitive du fait des tarifs douaniers imposés par l’UE. Malgré les discours qui célèbrent partout le règne du libre-échange, in concreto, les frontières de la Méditerranée sont l’outil d’une intégration subordonnée du Sud par le Nord. Ceux qui les conçoivent tissent entre les deux rives des relations asymétriques qui s’apparentent davantage à des branchements et des canalisations qu’à de la libre circulation. À travers cette articulation fonctionnelle, s’opère une subordination spatio-temporelle de l’espace et de la société marocaine, mobilisés de manière à répondre aux besoins du calendrier productif européen et à le complémenter [1].

En partant de deux zones de production intensive de fraises situées, l’une en Andalousie et l’autre au nord du Maroc, cet article [2] vise à montrer les relations entre les stratégies d’implantation et d’organisation de la production des secteurs fraisicoles et les politiques migratoires et de régulation économique, relations qui sont à l’origine de la dynamique des marchés globaux. Plus précisément, il s’agit de montrer la manière dont l’intégration subordonnée évoquée plus haut s’est déclinée à l’échelle régionale au sein de la chaîne globalisée des fruits rouges, comment cela a abouti à l’embauche d’ouvrières marocaines des deux côtés du détroit et quel rôle la frontière joue dans la profitabilité de ces deux enclaves. On s’intéressera aux écarts entre annonces libérales et réalités politiques aussi bien en matière migratoire qu’économique.

 

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Extrait du Plein droit n° 116 
« Liberté de circuler, un privilège »

(mars 2018, 10€)

 

 

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