Faire émerger la responsabilité des États - GITSI 16 sept. 2016

La mer constitue un défi : elle efface les traces de passages et de naufrages. Si bien que les circonstances des morts en mer de migrants sont rarement documentées et les responsabilités rarement étab

Interview de Charles Heller et Lorenzo Pezzani
Militants et chercheurs

Article extrait du Plein droit n° 109


 

La mer constitue un défi : elle efface les traces de passages et de naufrages. Si bien que les circonstances des morts en mer de migrants sont rarement documentées et les responsabilités rarement établies. C’est pour documenter ces morts et les violations des droits des migrants qu’a été lancé le projet Forensic Oceanography en 2011 avec pour objectif d’utiliser les nouvelles technologies pour apporter des preuves tangibles de ces drames, nécessaires à la mise en cause des États et autres acteurs supranationaux. Charles Heller et Lorenzo Pezzani, initiateurs de ce projet, se sont saisis du cas du«  Left-to-die boat  ». Interview réalisée par Isabelle Saint-Saens.

C’est un communiqué du Gisti titré «  Le Gisti va déposer plainte contre l’Otan, l’Union européenne et les pays de la coalition en opération en Libye  » qui a été à l’origine de votre collaboration avec l’association, puis avec les différents groupes qui se sont investis dans le contentieux à propos du «  Left-to-die boat  ». De votre côté, comment vous êtes-vous rencontrés ?

Charles Heller : Nous faisions tous les deux nos thèses au Centre for Research Architecture [1], nous travaillions sur des sujets similaires en lien avec les politiques migratoires et les politiques de l’espace et des représentations, et notre directeur de thèse, Eyal Weizman, nous a encouragés à monter un projet ensemble.

Au même moment, au sein de notre centre, le projet collaboratif Forensic Architecture démarrait. Ce projet est parti d’une critique des stratégies dominantes et de l’utilisation des représentations dans le travail des associations de défense des droits de l‘Homme, notamment de la stratégie de mobilizing shame (la «  mobilisation par la honte  ») qui atteint ses limites dès lors que les parties incriminées les détournent pour leur propre compte – pensons par exemple aux «  campagnes d’information  » de l’Organisation internationale des migrations (OIM) qui visent à dissuader les migrants potentiels en leur montrant les conditions de vie désastreuses que leur réservent les États de l’UE. Dans ce contexte, le projet Forensic Architecture visait à observer et à analyser une évolution dans les pratiques de défense des droits de l’Homme. Selon nos observations, ces pratiques ne se limitent plus à une restitution subjective de la souffrance à travers le témoignage des victimes dont les droits et la vie ont été violés, et à sa dénonciation dans l’espace public, mais tentent d’articuler ce témoignage avec d’autres éléments de preuves, notamment ceux produits à l’aide des nouvelles technologies, pour pouvoir demander des comptes aux États et aux autres acteurs devant des tribunaux.

Ce projet collaboratif ouvrait un horizon de pratiques possibles pour l’ensemble des membres du Center for Research Architecture. Quand le communiqué du Gisti est sorti, on s’est dit : tiens, on pourrait peut-être les soutenir…

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