Ces étrangers qui renoncent à leurs droits - GITSI 13 nov. 2015

Le non-recours désigne toutes les situations où une personne ne peut pas bénéficier d’un droit ou d’une prestation alors qu’elle serait fondée à l’obtenir.

Ces étrangers qui renoncent à leurs droits

Alexis Spire
Gisti


 


Le non-recours désigne toutes les situations où une personne ne peut pas bénéficier d’un droit ou d’une prestation alors qu’elle serait fondée à l’obtenir. Reprenant des travaux plus anciens sur les obstacles à l’accès au droit, l’un des premiers articles en français consacré au non-recours a mis en lumière la nécessité de faire entrer cette thématique dans le débat public [1], en soulignant que la responsabilité n’en incombe pas seulement aux personnes éligibles mais d’abord et surtout à celles et ceux qui conçoivent et mettent en œuvre les dispositifs d’action sociale. Trois grandes raisons ont ensuite été isolées pour expliquer le développement du non-recours : le défaut de connaissance d’un droit auquel on peut prétendre, la non-demande d’un droit ou d’une prestation dont on connaît l’existence et enfin la privation d’un droit qui a été demandé mais qui n’a pas été octroyé [2]. Ce triptyque a acquis à la fin des années 1990 une certaine visibilité récemment amplifiée par la création d’un Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore).

Au début des années 2000, la question du non-recours a dépassé le cadre strictement académique pour faire son apparition dans le débat public. Dans un contexte de montée en puissance de discours stigmatisant l’« assistanat » et la « fraude sociale », la thématique du non-recours est progressivement apparue comme un moyen d’allumer un contre-feu face aux diatribes contre les chômeurs ayant renoncé à chercher un emploi, les femmes isolées suspectées de vivre en couple ou encore des précaires accusés de cumuler minima sociaux et travail au noir. L’objectif des chercheurs impliqués dans ce champ d’études est de proposer un chiffrage de l’argent économisé par les institutions étatiques au détriment de toutes ces populations fragilisées par la crise, de façon à rendre une légitimité sociale à toutes celles et ceux qui sont assigné·e·s aux marges, voire en dehors des politiques publiques. En donnant une dimension statistique à différents phénomènes d’autocensure, ces travaux ont permis de faire apparaître les bénéficiaires de minima sociaux non plus comme des coupables systématiques mais comme des victimes potentielles : la question du non-recours est devenue un moyen de promouvoir une mesure chiffrée de «  l’envers de la fraude » [3]. Dans les diverses publications consacrées au non-recours, les étrangers apparaissent de façon incidente, au même titre que d’autres populations privées de prestations auxquelles elles pourraient prétendre. Ce numéro de Plein droit a pour ambition de revenir sur l’articulation entre non-recours et immigration pour mettre en lumière les difficultés communes aux autres usagers et les éventuels obstacles spécifiques que rencontrent les étrangers pour faire valoir leurs droits.

Les deux formes du non-recours des étrangers

Souvent visés par les faux scoops médiatiques sur les « fraudes aux allocations » ou les « abus des assistés », les étrangers sont en réalité doublement exposés au non-recours. Dans un premier sens, ils sont concernés par le fait qu’ils appartiennent aux franges les plus fragiles du salariat, aux catégories les plus précaires et les moins susceptibles de se repérer dans les méandres de l’administration. Les mauvaises conditions de logement, les ruptures induites par la migration, la complexité des dossiers et des formulaires à remplir sont autant de facteurs qui placent les étrangers en première ligne des populations exclues de certains droits ou prestations. Pour en prendre la mesure, l’accès aux soins constitue à la fois un indicateur significatif et un enjeu particulièrement crucial. Alors que, dans les années 1980, l’état de santé des étrangers était plutôt meilleur que celui de la population française  [4], avec de surcroît une espérance de vie plus longue que celle des natifs et – toutes choses égales par ailleurs – une moindre morbidité des originaires du Maghreb [5], la tendance s’est retournée en l’espace de trente ans. Toutes les enquêtes réalisées depuis le début des années 2000 attestent qu’à structure démographique équivalente, les étrangers sont en moins bonne santé que les nationaux, avec des écarts importants selon les pays [6]. Cette dégradation tient en grande partie à la précarisation sociale et administrative des populations migrantes, mais aussi à la démultiplication des obstacles qu’elles rencontrent pour accéder aux soins. L’accès aux minima sociaux constitue un autre domaine où les migrants se retrouvent en situation particulièrement défavorable, à la fois en raison des politiques publiques et des renoncements qu’elles génèrent. Alors que de longs combats juridiques ont permis de lever toute condition de nationalité sur les prestations non contributives (allocation pour adulte handicapé, minimum vieillesse et minimum invalidité), une proportion toujours plus grande d’étrangers est empêchée d’y accéder en raison de la condition d’une résidence stable, ancienne et régulière en France  [7] : dans ce domaine, la précarisation du séjour des étrangers et les pratiques toujours plus restrictives des caisses de Sécurité sociale font progresser le non-recours.

La deuxième forme de non-recours qui touche les étrangers renvoie à toutes les difficultés qu’ils rencontrent pour faire valoir des droits spécifiques à leur condition de non national : dépôt d’une demande d’asile, accès en centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada), demande de titre de séjour, demande d’autorisation de travail, demande d’aide médicale d’État, accès à la naturalisation, etc. Dans tous les services d’immigration concernés, l’ampleur du pouvoir discrétionnaire octroyé aux agents chargés d’appliquer les règlements joue le rôle d’amplificateur du non-recours. (...)
 

>>> La suite de l'article

 



Extrait du Plein droit n°106
  « Droits entravés, droits abandonnés »

(Octobre 2015, 10€)



Vous pouvez commander ce numéro auprès du Gisti
(chèque, carte bancaire, virement, voire espèces -si retrait sur place-)


Plein droit, la revue du Gisti
www.gisti.org/pleindroit