La voix de l’expulsé - GITSI 16 avril 2016

L’émergence des expulsés dans l’espace politique de leur pays d’origine fait écho aux questions portées par les sans-papiers en France.

Article extrait du Plein droit n° 107

La voix de l’expulsé

Clara Lecadet
Anthropologue, chercheure associée à l’Institut interdisciplinaire de l’anthropologie du contemporain-Laboratoire d’anthropologie urbanités mondialisations, EHESS-CNRS

 



L’émergence des expulsés dans l’espace politique de leur pays d’origine fait écho aux questions portées par les sans-papiers en France. Elle s’explique par les conditions mêmes de l’expulsion et par la situation d’abandon des expulsés à leur retour faute de soutien institutionnel. Encore faut-il que le contexte politique soit propice, que les expulsés ne soient pas bâillonnés. Ou que leur expression ne soit pas mise en sourdine par une institutionnalisation qui fait le jeu des pays qui expulsent.


En août 1996, au moment de l’évacuation de l’église Saint-Bernard, c’est déjà sur une autre scène que se jouent le sort du mouvement des sans-papiers et l’échec des négociations autour d’une régularisation globale. À Bamako, les expulsés maliens de Saint-Bernard retrouvent d’autres compatriotes expulsés d’Angola, de Zambie, d’Arabie Saoudite, de Tanzanie. Les pertes liées à l’expulsion mais aussi le sentiment de leur inexistence politique après plusieurs appels vains à leur gouvernement, forment entre eux une communauté d’expérience. Sous l’égide d’Ousmane Diarra, un commerçant malien expulsé d’Angola, ils créent en 1996 l’Association malienne des expulsés (AME), une initiative pionnière. La voix de l’expulsé, un manifeste daté de 1997 [1], en fixe les enjeux. Ils font écho aux questions portées par le mouvement des sans-papiers en France, qui a trouvé à se rassembler autour d’un nom et de l’autonomie des luttes [2].

L’émergence des expulsés dans l’espace public est liée à un processus de prise de parole sur les expulsions, dans leur double statut d’expérience et de question politique. L’incapacité de l’État malien à protéger ses ressortissants est présentée comme la cause majeure du caractère unilatéral des expulsions, des droits bafoués et des biens confisqués. Le texte dénonce l’opacité des négociations entre les gouvernements malien et angolais au sujet des biens confisqués des Maliens expulsés d’Angola, et accuse l’État malien de faciliter l’expulsion des Maliens depuis la France, en monnayant la délivrance par son consulat des laissez-passer nécessaires à la mise en œuvre d’une expulsion. Il se termine par un appel, qui est à la fois une injonction à l’État malien et au soulèvement populaire : « L’Association malienne des expulsés sollicite aujourd’hui la force vive et décisive malienne dans cette lutte afin que les biens confisqués en Angola, en France ou ailleurs soient immédiatement restitués sans conditions ; que les expulsions soient immédiatement arrêtées, que les autorités diplomatiques maliennes en France soient remplacées, que les expulsés se retournent dans leurs pays hôtes, que des mesures sécurisantes soient prises pour protéger les personnes et leurs biens. » S’en est suivi un mouvement de contestation des politiques d’expulsion qui s’est développé au Mali mais s’est également diffusé dans d’autres États africains au cours des années 2000, ainsi qu’un essaim d’initiatives qui ont contribué à hisser les expulsés au rang d’acteurs sur les questions touchant à l’accueil et aux droits des expulsés. (...)

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Extrait du Plein droit n°107
  « Les expulsés, leur voix, leurs droits »

(Décembre 2015, 10€)