20200804 Médiapart Mineurs étrangers à la rue à Paris / victoire en vue pour les associations

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Mineurs étrangers à la rue à Paris: victoire
en vue pour les associations
PAR IBAN RAÏS
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 4 AOÛT 2020
Le campement d’une centaine de mineurs étrangers
non accompagnés qui se trouvait dans le XIe
arrondissement de Paris a été évacué mardi matin
dans le calme. La Ville leur a promis l’attribution
d’un bâtiment, mais quelques inquiétudes importantes
subsistent.
«Modi, réveille-toi, c’est l’heure ! Ça va ? Tu as
pu dormir un peu ? » Il est 6 heures mardi matin
lorsque Agathe Nadimi, la créatrice et responsable
des Midis du Mie, une association de protection des
mineurs étrangers, fait le tour des tentes installées dans
le square Jules-Ferry, en plein XIe arrondissement de
paris.
Un jeune sort timidement de la sienne, les yeux encore
embués par sa courte nuit. Il sort une enceinte et
met de la musique malienne. La centaine de mineurs
non accompagnés (MNA, dans le jargon administratif)
se lèvent doucement, pendant que les bénévoles
démontent les barnums.
L’évacuation du campement est prévue pour 7 heures,
il faut rassembler ses affaires, dire au revoir aux amis
et aux bénévoles qui ont commencé à faire vivre le
camp il y a 34 jours.
Dès le mois de juillet, cinq associations (Médecins
sans frontières, le Comité pour la santé des exilés, les
Midis du Mie, Timmy et Utopia56) se sont occupées
d’une centaine de mineurs afin de rendre visible leur
situation.
La nouvelle de l’évacuation est arrivée subitement.
Dimanche soir juste avant minuit, l’un des jeunes du
camp tombe par hasard sur l’arrêté préfectoral, scotché
sur l’un des portails du square Jules-Ferry.
Sur la centaine de mineurs présents, environ soixantedix
vont être envoyés au gymnase Japy, à quelques
minutes du camp, et une trentaine seront placés dans
des chambres d’hôtel, en attendant une solution
plus pérenne. « Il a fallu réagir rapidement, tenter
d’expliquer aux jeunes que cette évacuation n’est
qu’une étape, mais pour eux, c’est difficile à
comprendre et à croire », détaille Espérance Minart,
présidente de Timmy, une association de protection
des mineurs non accompagnés.
L'évacuation s'est faite dans le calme. © IR
L’évacuation s’est effectuée dans le calme, et s’est
terminée vers 8 h 30. C’est l’association Alteralia,
mandatée par l’État, qui a pris le relais une fois
les mineurs arrivés au gymnase Japy. Sur place, tout
n’était pas encore prêt, les employés de l’association
montaient encore les lits de camp lorsque les jeunes
migrants sont arrivés. Les associations à l’initiative du
camp ont déjà contacté Alteralia pour leur proposer
leurs services en appui.
Un changement qui provoque l’angoisse de nombreux
jeunes migrants. Lundi soir, à la réunion quotidienne
de 20 heures, l’un d’entre eux, très inquiet de
l’évacuation à cause du Covid-19, a même déclaré :
« En acceptant de nous transférer dans un gymnase,
vous nous envoyez à l’abattoir. » Car un gymnase, cela
signifie plus de promiscuité et une grosse perte
d’intimité par rapport aux tentes individuelles et bien
ordonnées du camp. « Les jeunes ont aussi peur
que nous, les associations, on les abandonne, on les
lâche », regrette Agathe Nadimi des Midis du Mie.
Les cinq associations à l’initiative du camp de
Richard-Lenoir suivent individuellement chaque
jeune. Elles les accompagnent, les rassurent, au
quotidien, parfois sur plusieurs années.

Malgré les apparences, Médecins sans frontières,
le Comité pour la santé des exilés, les Midis du
Mie, Timmy et Utopia56 sont satisfaites, puisqu’une
solution définitive a été trouvée, le gymnase et
les chambres d’hôtel ne seraient qu’une solution
provisoire.
Mercredi 22 juillet, ces associations étaient reçues, à
leur demande, par Dominique Versini, l’adjointe à la
maire de Paris en charge de la protection de l’enfance.
L’échange entre l’adjointe et les bénévoles a été
fructueux, les associations en sont reparties avec
une promesse : la mairie aurait trouvé un bâtiment
pour accueillir ces mineurs en situation précaire. Un
bâtiment qui appartient à la mairie de Paris, et qui sera
transformé en mini-centre d’hébergement. « C’est une
première en France, ça prouve que notre stratégie de
visibilisation des mineurs étrangers a été la bonne,
et j’espère que cela donnera des idées ailleurs en
France », se réjouit Corinne Torre, cheffe de mission
à Médecins sans frontières.
Le bâtiment, visité par la Direction régionale
et interdépartementale de l’hébergement et du
logement (DRIHL) il y a deux semaines, pourrait
accueillir une centaine de mineurs. Selon les
informations de Mediapart, le bâtiment nécessite
encore quelques travaux, et devrait être opérationnel
courant septembre.
De son côté, la préfecture a un discours ambigu. Elle
refuse d’entériner la mise en place d’un dispositif
permanent pour ces mineurs en recours qu’elle estime
majeurs, pour ne pas créer de précédent. Mais admet
que le bâtiment trouvé par la Ville de Paris est une
hypothèse probable, lorsque les travaux seront finis.
Depuis des années, l’État, par le biais de la préfecture,
et les communes se renvoient la balle à propos des
mineurs non accompagnés en recours. « C’est un pingpong
entre l’État et la Ville de Paris. Sauf que ce
sont des êtres humains, mineurs, de surcroît », assène
Catherine Daoud, avocate et co-responsable du pôle
mineurs étrangers isolés de l’antenne des mineurs, une
structure du barreau de Paris chargée de les protéger
juridiquement.
L’avocate dénonce le jeu malsain auquel se livrent
l’État et la Ville de Paris. « En droit français,
tout mineur doit être protégé par les conseils
départementaux, et à Paris, c’est la mairie qui doit
s’en charger », rappelle-t-elle. Sauf que ces mineurs,
même s’ils le sont dans la majorité des cas, ne sont pas
officiellement reconnus comme tels.
Ils ont été jugés majeurs par le dispositif d’évaluation
des mineurs étrangers isolés (DEMIE), dont est chargé
en pratique la Croix-Rouge. Et le recours qu’ils
peuvent former devant le juge des enfants – et la cour
d’appel ensuite – n’est pas suspensif. En bref, le doute
sur leur minorité ne leur bénéficie pas.
Depuis des années, le DEMIE est pointé du doigt par la
totalité des associations de protection des mineurs non
accompagnés. Notamment parce qu’il accorde trop
d’importance aux tests osseux, censés établir de façon
scientifique l’âge d’un individu. Pour l’académie de
médecine, « cette méthode ne permet pas de distinction
entre seize et dix-huit ans ». Et sa marge d’erreur serait
de 1 à 2 ans.
Récemment, les associations ont reçu un soutien
de poids dans la critique du DEMIE. Le 16 juillet
dernier, le désormais ex-Défenseur des droits, Jacques
Toubon, a rendu une décision concernant le dispositif.
Il recommande entre autres une amélioration des
rapports d’évaluation sociale des jeunes lorsqu’un
doute subsiste sur leur minorité, ou encore, et c’est à
noter, que le dispositif actuel pourrait porter atteinte à
l’intérêt supérieur des jeunes gens se déclarant mineurs
non accompagnés. « En lisant ces recommandations,
le Défenseur des droits estime que le DEMIE est
trop aléatoire, il faut que le dispositif évolue », juge
Catherine Daoud.
Pour faire bouger les lignes, vendredi 31 juillet, le
bâtonnier et la vice-bâtonnière de Paris ont signé une
tribune dans Libération.
Intitulée « Les mineurs isolés du square Jules-
Ferry doivent être hébergés », la tribune veut alerter
sur la situation du camp, et plus généralement sur
celle des mineurs étrangers isolés. Et entend presser
les pouvoirs publics à trouver très rapidement une
solution. « Aujourd’hui encore, en violation des

engagements pris par la France dans le domaine de
la protection de l’enfance, des centaines de mineurs
passent plusieurs mois à la rue, totalement privés de
droits reconnus par la Convention internationale des
droits de l’enfant que la France a ratifiée », rappellent
Olivier Cousi et Nathalie Roret.